CULTURE
Íslendingabók
6. — De la colonisation du Groenland.
Le pays que l'on appelle Groenland fut découvert et colonisé par des Islandais. Il y avait un homme du nom d'Eirik le Roux, originaire du Breiðafjörð, qui partit d'Islande pour s'y établir dans une terre appelée depuis Eiriksfjörð. Il donna un nom au pays et l'appela Groenland, espérant qu'un beau nom encouragerait les gens à y émigrer. On trouva des traces d'habitations humaines dans l'est et dans l'ouest du pays, ainsi que des débris de barques en cuir et des ustensiles en pierre, d'où l'on put conclure que la contrée avait été habitée par une tribu de la même famille que celle qui a pris possession du Vinland et que les Groenlandais appellent Skrælingjar. Cette occupation du Groenland eut lieu XIIII ou XV hivers avant l'introduction du christianisme en Islande. C'est là du moins ce que Þorkel Gellisson a appris au Groenland d'une personne qui avait elle-même accompagné Eirik le Roux dans ce pays.
7. De l'introduction du christianisme en Islande.
Ce fut le roi Óláf Tryggvason, fils d' Óláf, fils de Harald aux beaux cheveux, qui introduisit le christianisme en Norvège et en Islande. Il envoya dans ce dernier pays un prêtre du nom de Þangbrand qui enseigna la religion chrétienne aux habitants et baptisa tous ceux qui acceptèrent la foi nouvelle. Hall de Siða, fils de Þorstein, reçut le baptême de bonne heure, ainsi que Hialti Skeggjason du Þjórsardal et Gizor le Sage, fils de Teit Ketilbjörn de Mosfell, en même temps que beaucoup d'autres hommes éminents; plusieurs cependant ne furent point de cet avis et refusèrent. Après un séjour d'un hiver ou deux, Þangbrand quitta le pays; il avait tué deux ou trois hommes qui l'avaient raillé dans des vers satiriques. De retour en Norvège, il raconta au roi Olaf tout ce qu'il avait eu à supporter ici et exprima son peu d'espoir d'y voir adopter jamais le christianisme. Là-dessus le roi entra dans une violente colère et se proposa, comme châtiment, de faire mutiler et mettre à mort nos compatriotes qui se trouvaient en Norvège en ce moment. Mais le même été Gizor et Hialti arrivèrent dans le pays et parvinrent à soustraire les prisonniers à la vengeance du roi en lui promettant de nouveau leur intervention pour que le christianisme fût malgré tout reconnu et en exprimant leur ferme espérance de réussir dans leurs tentatives. L'été suivant ils revinrent en Islande accompagnés d'un prêtre appelé Þormóð. Après une traversée heureuse, ils abordèrent aux îles Vestmann, dix semaines après le commencement de l'été. Tel est le récit de Teit, d'après les affirmations d'un témoin oculaire. Or, l'été précédent il avait été décidé en vertu d'une loi que dix semaines après le commencement de l'été il y aurait réuni on à l'Alþing, ce qui jusqu'alors avait lieu une semaine plus tôt. Ils abordèrent donc sur la terre ferme pour se rendre ensuite à l'assemblée, après avoir décidé Hialti à demeurer à Laugardal avec douze hommes, parce que l'été précédent il avait été condamné à un bannissement de trois ans pour outrage aux dieux. Le motif en était qu'il avait lancé du haut du lögberg cette épigramme :
Je ne veux point insulter les dieux, Vilk eigi goð geyja
Freyia cependant me semble une chienne. Grey þykki mér Freyja
Gizor s'avança avec sa suite jusqu'à un endroit appelé Vellankatla, près du lac Ölfuss; de là ils envoyèrent au þing un message pour inviter tous ceux dont ils pouvaient espérer du secours à venir à leur rencontre, car ils avaient appris que leurs ennemis s'apprêtaient à leur interdire, les armes à la main, l'accès du lieu de réunion. Mais avant de se mettre en marche, ils virent arriver à cheval Hialti et ceux qui étaient restés avec lui en arrière; et, comme ils se dirigeaient ensemble vers le þing, ils rencontrèrent déjà leurs parents et leurs amis qu'ils aspiraient à revoir. Les païens se rassemblèrent armés jusqu'aux dents et on ne savait s'ils n'allaient pas en venir aux mains. Le lendemain, Gizor et Hialti se rendirent au lögberg pour faire connaître le résultat de leur mission, et tout le monde fut ravi, dit-on, de la façon remarquable dont ils parlèrent. Il s'en suivit que chrétiens et païens, se prenant mutuellement à témoin, déclarèrent renoncera tous leurs rapports d'amitié et de bonne entente et se retirèrent du lögberg. Là-dessus des chrétiens engagèrent Hall de Siða à leur exposer les lois telles que devaient les observer les chrétiens. Mais celui-ci se déroba à leurs prières en décidant le lögsögumadhr Þorgeir à s'en charger, bien que celui-ci fût encore païen. Or, lorsque le peuple se fut retiré dans les tentes, Þorgeir se coucha, étendit son manteau sur lui et se reposa toute la journée et la nuit suivante sans dire un mot; le lendemain de bonne heure il se leva et ordonna qu'on se rendît au lögberg. Quand tout le monde fut réuni, il commença son discours et déclara qu'à son avis le bonheur du peuple courait le plus grand danger, si tous les habitants du pays n'acceptaient une même loi. Il les exhorta de mainte façon à ne pas laisser s'accomplir pareille scission et leur fit comprendre comment il en naîtrait des discordes qui auraient pour conséquences inévitables et certaines des rixes et des querelles parmi les habitants, de nature à dépeupler le pays. Il parla de certains rois de Norvège et de Danemark qui pendant longtemps avaient vécu en ennemis et s'étaient fait la guerre jusqu'au jour où les habitants rétablirent la paix entre eux malgré la volonté de leurs rois ; l'entente fut si complète qu'aussitôt ils s'envoyèrent des cadeaux précieux, et la paix dura aussi longtemps qu'ils vécurent. « Et maintenant, continua-t-il, il me semble raisonnable de ne pas laisser agir à leur guise ceux qui sont animés des sentiments lés plus hostiles ; essayons de rétablir l'accord entre eux de manière à satisfaire à certaines prétentions de part et d'autre et ayons tous une même loi et une même foi. Car, je vous le dis en vérité, si nous détruisons la loi, la paix sera détruite ». Le résultat de son discours fut que les deux partis consentirent à adopter une seule et même loi pour tous, celle qu'il proclamerait. Une loi fut donc décrétée ordonnant à tous les habitants du pays, qui n'étaient pas encore baptisés, de se faire chrétiens et de recevoir le baptême. Quant à l'exposition des enfants et la faculté de manger de la viande de cheval, l'ancienne loi devait rester en vigueur. On pourrait, si l'on voulait, faire des sacrifices en secret ; mais un bannissement de trois ans frapperait quiconque se ferait accompagner de témoins. Quelques années plus tard cependant, cette coutume païenne était, comme les autres, tombée en désuétude. Ces faits relatifs à l'introduction du christianisme en Islande nous furent rapportés par Teit. Le même été, Olaf Tryggvason — suivant l'affirmation du prêtre Sæmund — périt dans une lutte qu'il soutint contre le roi de Danemark, Svein Haraldsson, contre Óláf le Suédois, fils d'Eirik, roi de Suède à Uppsalir, et contre Eirik Hakonarson qui fut plus tard jarl en Norvège. C'était CXXX hivers après le meurtre de St Eadmund et mille ans après la naissance du Christ, d'après la chronologie généralement suivie.
8. — Des évêques étrangers.
Voici, d'après les indications de Teit, les noms des évêques étrangers qui ont résidé en Islande: Friðrekr, qui arriva dans le pays du temps des païens; les autres y vinrent après cette époque : Bjarnharð le Savant qui resta V années; Kol, peu d'années; Hróðólf, XIX années; Jóhan d'Irlande, peu d'années; Bjarnharð, XIX années; Heinrek, II années. En outre, il en arriva cinq autres qui se faisaient passer pour évêques : Örnólf et Goðiskálk, et trois Arméniens : Pétrús et Ábrahám et Stéphánús.
Grím Svertingsson de Mosfell fut nommé lögsögumadhr après Þorgeir et le resta pendant deux étés. Comme il avait la voix rauque, on lui permit de transmettre ses fonctions à son neveu Skapti Þórodssonn qui les remplit pendant XXVII étés. Celui-ci institua le « cinquième tribunal » et décréta la loi stipulant que l'aveu fait par un meurtrier ne constituerait que la preuve de sa propre culpabilité et non pas de celle de ses complices. Autrefois ou appliquait à ce sujet les mêmes dispositions qu'en Norvège. De son temps, en vertu de son autorité et sur ses décisions, un grand nombre de chefs et d'hommes puissants furent condamnés ou exilés pour cause de meurtre ou à la suite de querelles sanglantes. Il mourut l'année même où périt Olaf le Gros, fils de Harald, fils de Goðröð, fils de Björn, fils de Harald aux beaux cheveux, — XXX hivers après la mort d'Olaf Tryggvason. Après lui, Stein, fils de Þorgest, fut lögsögumadhr pendant trois étés; ensuite, ce furent Þorkel Tjórvason, pendant XX étés, et Gellir Bölverksson, pendant IX étés.
9. — De l'évêque Ísleif.
Ísleif, fils de Gizor le Blond, fut sacré évêque du temps du roi de Norvège Harald, fils de Sigurð, fils de Halfdan, fils de Sigurð Hrisi, fils de Harald aux beaux cheveux. Or, lorsque les hommes les plus puissants et les plus distingués remarquèrent qu'Ísleif surpassait de beaucoup par ses vertus les autres prêtres que l'on pouvait trouver en ce pays, un grand nombre d'entre eux lui confièrent leurs fils pour les instruire et les firent ordonner prêtres. Deux parmi ceux-ci reçurent plus tard la dignité d'évêque : Kol, à Vik en Norvège, et Jón, à Hólar. Ísleif eut trois fils qui devinrent tous des hommes distingués : l'évêque Gizor, le prêtre Teit, père de Hall et Þorvald. Teit fut élevé à Haukadal par Hall, l'homme que l'on considérait unanimement comme le plus remarquable, par son dévouement et ses vertus, parmi les laïques de ce pays. Moi-même j'arrivai auprès de Hall à l'âge de sept hivers, un hiver après la mort de Gellir Þorkelsson, mon grand-père et tuteur, et j'y demeurai XIV hivers.
Gunnar le Sage fut nommé lögsögumadhr après le départ de Gellir et le resta pendant trois étés. Ensuite, ce furent : Kolbein Flosason, six étés — l'été même où il entra en fonctions, le roi Harald mourut en Angleterre — ; Gellir, pour la seconde fois, trois étés; Gunnar, pour la seconde fois, un été; Sighvat Surtsson, neveu de Kolbein, huit étés. Vers cette époque Sæmund Sigfúrson revint de France en Islande où il se fit dans la suite ordonner prêtre.
Ísleif reçut le sacre à l'âge de cinquante ans, sous le pontificat de Léon VII. Il passa l'hiver suivant en Norvège, revint ensuite en Islande et mourut à Skálholt après avoir été évêque pendant XXIV hivers en tout. Voilà ce que nous a appris Teit. — C'était un dimanche, VI nuits après la fête de SS. Pierre et Paul, LXXX hivers après la mort d'Olaf Tryggvason. J'avais alors XII hivers et vivais auprès de Teit, mon frère adoptif. Ces faits nous furent rapportés par Hall, homme sincère, d'une mémoire fidèle et qui se rappelait avoir reçu le baptême des mains de Þangbrand, à l'âge de trois hivers. C'était l'hiver qui précédait l'adoption officielle du christianisme en Islande. A trente ans, il s'installa avec sa famille à Haukadal où il vécut pendant LXIV hivers et mourut à l'âge de XCIV hivers. C'était à la fête de l'évêque Martin, le dixième hiver après la mort de l'évêque Ísleif.
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